Premier jour de l’été dans l’hémisphère Sud. Nous prenons le bus de la société Aroma vers la ville d’Oruro. Nous n’avons pas d’objectif particulier à Oruro, grosse ville industrielle de Bolivie ; il s’agit juste de couper le voyage en deux parties pour limiter les heures de bus. Comme d’habitude, la ville d’El Alto nous accueille avec des embouteillages dès que le bus arrive sur le plateau qui domine La Paz. Mais nous nous arrêtons en bord de route et le conducteur attend une heure supplémentaire pour embarquer d’éventuels passagers qui lui permettraient de partir complet. A l’intérieur, certains Boliviens commencent à trouver le temps long et lancent des « Vamos ! » pleins d’amertume au chauffeur. Une grêle intense s’abat sur les hauteurs d’El Alto, alors que le bus consent finalement à démarrer. Le paysage en cours de route est typique de l’altiplano. Quatre heures plus tard nous entrons dans la ville d’Oruro via un rond-point orné d’un casque de mineur géant, signe que nous sommes bien en territoire minier, comme ce sera aussi le cas prochainement à Potosi. Nous rejoignons l’hôtel Bernal, situé à côté de l’ancien terminal de bus aujourd’hui converti en petit marché. Au loin sur une colline se dresse une statue géante de la Vierge protectrice de la ville. Nous hésitons à tester le charquekan de lama (de la viande de lama sèche et filandreuse accompagnée de maïs, pommes de terre, fromage et œufs durs) et finissons finalement dans un restaurant italien qui a la bonne idée de passer en boucle les grands titres du rock américain des années 60 et 70.
La vue du terminal de bus de La Paz (au premier plan : la brasserie Pacena ; au fond : le téléphérique et El Alto)Entre La Paz et OruroVue sur Oruro (les charmes de la ville nous sont restés cachés)
Au petit-déjeuner, Emilie est absorbée par la lecture de son exemplaire de Condorito, le Spirou sud-américain (originaire du Chili). Nous laissons passer l’averse de la fin de cette matinée, achetons six jawitas (chaussons au jambon-fromage) et partons attraper un microbus à l’angle de la rue Murillo et Belzu. Plusieurs microbus ont encore la marque de leur vie précédente, pour certains une vie japonaise. On trouve ainsi des microbus Toyota portant l’inscription d’hôtels et de restaurants japonais (et même de crèches japonaises). Le micro nous emmène vers la « Vallée de la Lune », en banlieue sud de la ville, au-delà de Sopocachi. Nous nous promenons une bonne heure dans ce paysage très particulier, marqué par l’érosion et rappelant un peu le Far West des USA. Nous continuons, avec une promenade d’une demi-heure, vers le zoo de La Paz. Ce zoo, dédié essentiellement aux animaux de la Bolivie, s’avère très instructif. Nous sommes néanmoins épuisés par l’altitude, et le soleil qui s’est maintenant levé se montre impitoyable. Des montagnes rouges entourent ce parc, et on distingue la forme facilement reconnaissable de la Muela del Diablo (la molaire du diable), un pic acéré. Nous rentrons en collectivo directement à la place San Francisco. Au sud de Sopocachi, la rivière Irpavi semble tout droit sortie d’une machine à laver (l’eau est blanche d’écume). Nous bravons l’averse du soir pour aller dîner dans un restaurant indien d’un délicieux paneer masala. Curieuse météo que celle de La Paz : l’après-midi nous étions en T-shirt sous un soleil de plomb et le soir nous portions manteau et écharpe sous une pluie glaciale …
La Vallée de la LuneRencontre avec un nanduLa Muela del Diablo
La Paz pourrait-elle prétendre au titre de grande ville la plus chaotique du monde ? En ce qui nous concerne, probablement. Est-ce parce que structure est en soi improbable ? (les quartiers riches en bas, où l’air est plus dense et les conditions moins froides ; les quartiers pauvres en haut, à 4000 mètres d’altitude). Est-ce parce que sa topographie en fait un endroit particulièrement difficile à parcourir ? (La Paz est essentiellement une vallée, et peu de rues sont planes). Est-ce à cause de ses trottoirs étroits, glissants, aux pavés couverts de graisse et parsemés de trous, par endroit encombrés encore plus par la présence d’étals divers ? Est-ce à cause de la présence forte de la mendicité, à tous les coins de rue et beaucoup plus visible qu’au Pérou voisin ? Est-ce à cause d’une météo imprévisible, qui en une seule heure peut transformer un soleil aux ultra-violets brûlants en une averse glaciale ? Est-ce à cause du nombre de minibus aux pots d’échappement défectueux, dégageant des fumées noires dans les démarrages en côte ? Bref, la première impression que nous a donné cette ville n’a pas été vraiment agréable. Cela ne nous empêche pas cependant de continuer aujourd’hui notre visite de La Paz, en commençant par notre quartier, le quartier des sorcières, où l’on vend moultes potions, filtres et amulettes pour toutes choses de la vie. Les llamas, en fœtus séchés ou en agneaux pelucheux, sont suspendus au plafond, attendant preneurs pour les rites de bénédiction des nouveaux bâtiments. Du bois de palo santo pour guérir de diverses afflictions, des poudres pour récupérer un amant, etc. Nous nous contentons d’acheter des gomitas à la coca, pour lutter contre le mal des montagnes (effet placebo ?). Nous poursuivons notre visite du grand marché à ciel ouvert que forment les rues de La Paz. Nous cherchons les sombreros boliviens, sans succès (où sont-ils donc vendus ? on en voit partout sur la tête des cholas …). Nous croisons des vendeurs ambulants pour tout et n’importe quoi : un tel se spécialise uniquement en épingles à nourrice, l’autre en gants en plastique … Des échoppes vendent des cunape (type de pao de queijo) et des sonso de yuca y queso (galettes de farine de yuca). Nous descendons la vallée pour trouver, à mi-chemin entre le quartier ancien et moderne, le restaurant japonais Ken-Chan, pour un délicieux teishoku. Une très bonne adresse à La Paz, le restaurant se trouve dans un immeuble qui intègre aussi l’association des Japonais de Bolivie. Curiosité locale : tout le monde mange avec une fourchette ! Nous longeons la Plaza del Estudiante et trouvons un joli café. Nous prenons ensuite un taxi pour aller visiter le musée d’ethnographie, un très joli musée qui se trouve dans un ancien bâtiment colonial. Au programme, sections tissage avec une galerie de bonnets de l’altiplano (ch’ullu), masques (qui n’ont rien à envier aux masques africains ou du pacifique), poterie, plumes (on est accueilli par une grand estatue de condor en résine), métaux (on apprend beaucoup sur les mines de Potosi ; la figure mythique du Tio qui protège les mineurs ; les routes parallèles de l’argent et du mercure (azogue) entre Potosi et Huancavelica, le mercure étant utilisé dans l’extraction de ce métal), section vêtements (avec la cape « urkhu » pour les femmes et le « punchu » pour les hommes). On apprend qu’en 1795 une ordonnance espagnole a interdit le port des vêtements qui rappelaient trop le style inca. Exposition temporaire sur le corps et ses variations : tatouages, coupes de cheveux (en particuliers les « tullma », pompons reliant les deux tresses des cholas). Bref une étape culturelle très intéressante. Nous prenons ensuite la ligne rouge du téléphérique, de la station Taypi Uta à Jach’a Qhathu, tout en haut dans la ville d’El Alto, sur le plateau. Nous survolons le cimetière et des blocs de maisons colorées avant d’atteindre le plateau et d’avoir une très belle vue sur les montagnes. Sur le plateau d’El Alto, de grands immeubles aux couleurs criardes s’alignent sur les boulevards, ce sont les « cholets », des immeubles financés par la nouvelle bourgeoisie indigène propulsée par l’ère Moralès (une affiche d’El Alto précise « El simbolo de la opulencia aymara ». Les cholets sont des immeubles d’une dizaine d’étages sur le toit desquels on trouve ce qui ressemble à un pavillon de banlieue (pour héberger le propriétaire). Nous nous perdons dans le marché du jeudi d’El Alto, sans malheureusement trouver de point de panorama décent … Finalement la nuit tombe et nous retournons en bas, à La Paz. Nous sommes impressionnés par ce réseau urbain (10 lignes) de téléphériques, un moyen de locomotion très moderne, peu cher (3 Bs), facile d’emploi et vraiment bien adapté à la topographie de cette ville. Apparemment il s’agit d’un projet initié par Evo Morales et plusieurs habitants de La Paz nous ont mentionné leur grande appréciation de cette initiative. Nous retournons à pied à l’hôtel, via le terminal de bus.
La rue Jaen, dans le centre historiqueDans le téléphériqueLe restaurant japonais Ken-Chan, une valeur sûre
Visite de la place Murillo, où se trouve le siège du gouvernement (La Paz n’est pas la capitale, c’est la ville de Sucre qui a détient ce titre, même si La Paz héberge de nombreuses fonctions administratives). La calle Jaen, petite ruelle étroite pavée de noir, est la plus typique du vieux centre historique, dont il ne reste plus grand-chose. Déjeuner au restaurant mexicain La Cueva, avec burritos et jugo de mocochinchi (le jus de pêche sèche que nous avions testé à Copacabana, boisson qu’Evo Morales a déclarée boisson nationale, incitant ses concitoyens à préférer le mocochinchi au Coca-Cola afin d’expulser la marque impérialiste de Bolivie …). On croise un troupeau de jeunes gens déguisés en zèbres (nous apprendrons ensuite qu’il s’agit d’étudiants volontaires qui œuvrent pour fluidifier la circulation piétonne). Chihiro a le mal des montagnes et j’accompagne donc seul Emilie au musée des instruments de musique. Les spécialités locales : charangos (petite guitare) en carapace de tatou et flûtes quenas. Sur le balcon, des instruments de musique divers et variés sont à la disposition des visiteurs qui souhaitent improviser quelques notes (ou plutôt des rythmes). En soirée, promenade dans le quartier huppé de Sopocachi, pain au chocolat français au Café « Chez Moustache » à côté de l’Alliance Française et puis observation du coucher de soleil au Parque del Monticulo.
Vue sur La Paz de l’hôtel Alta VistaLa place San FranciscoL' »Horloge du Sud » et ses aiguilles à contresens, sur la Plaza de Armas Murillo (un projet soutenu par Evo Morales pour affirmer l’identité de l’hémisphère sud, où les cadrans solaires tournent dans le sens inverse de ceux de l’hémisphère nord)
Matin tranquille à l’hôtel de Copacabana. Notre bus vers La Paz partant uniquement à 13h30 (bus Vicuna), nous avons le temps de faire une dernière balade en bord de plage et de sortir Condorito (le cerf-volant) pour un vol au bord du lac. Empanadas pour la route et le bus s’en va pour La Paz. A mi-chemin, à San Pedro, nous devons sortir du bus et emprunter de petits bateaux-navettes pour traverser le lac Titicaca, pendant que notre bus emprunte une barge plus lente. Violente tempête de grêle sur les rives boliviennes du Titicaca quelques minutes plus tard. Nous débouchons enfin sur le plateau d’El Alto, la grande ville de banlieue qui borde la vallée de La Paz. Nous sommes coincés dans un embouteillage monstre à un carrefour ; nous y restons au moins 30 minutes sans bouger au milieu du carrefour en Y, alors que les minibus, les camions et les voitures (et les piétons qui souhaitent traverser) continuent d’affluer et s’imbriquent de manière inextricable dans le piège de ce carrefour (voir illustration ci-dessous). Nous fraternisons avec des Mexicains qui remontent le continent de la Patagonie vers la Colombie. La fronde grondant dans le bus, nous finissons par sortir du bus et faisons une chaîne pour bloquer de nos bras les voitures et offrir un passage à notre conducteur. Quelques minutes plus tard, alors que le trafic est un peu plus fluide, La Paz nous accueille avec une effrayante statue de Che Guevara en fil de fer, avec une kalachnikov dans une main et une colombe dans l’autre (la statue rappelle de loin l’image d’un Terminator sur un champ de bataille). La descente vers la ville enchaîne les lacets jusqu’au terminal de bus. Le temps de sauter dans un taxi et nous arrivons enfin à l’hôtel Alta Vista (qui dispose d’un ascenseur, bonne nouvelle !). Sortie en ville en soirée, la place San Francisco est très animée (du même endroit, on peut assister à un spectacle offert par un sosie de Michael Jackson, à une compétition de slam en espagnol et à la performance d’un groupe de break-dance !). Le personnage vert du Grinch est partout car il fait apparemment ici partie du folklore lié à Noël. Nous dînons d’une soupe wonton dans une chifa proche du marché, et nous traversons la route centrale pour aller compléter ce repas d’une hamburguesa.
Vol de Condorito au bord du TiticacaLa traversée du lac en bargeEmbouteillage à l’entrée d’El AltoExplication détaillée de l’embouteillage
Nous vivons ce matin un vrai calvaire. Rien de grave, mais un vrai calvaire néanmoins, car nous grimpons ce matin la colline du Calvario qui surplombe Copacabana. Le chemin est une réplique de la Via Dolorosa avec ses 14 étapes et il s’avère en effet très pénible à près de 4000 mètres d’altitude. Le chemin est entouré de pins, ce qui lui donne une senteur toute provençale. C’est Emilie qui arrive en tête de cette montée, toute impatiente de tester son cerf-volant (qu’elle a nommé Condorito) en haut de ladite colline. Au sommet, des péruviens brûlent des cierges dans de petites alcôves disposées à ces fins. On trouve aussi des vendeurs de petites voitures et de maisons miniatures : ici, on vient en effet prier pour la sécurité de son moyen de transport ou de son logement en faisant ce genre d’offrande. La vue sur le lac Titicaca est splendide. C’est ici à Copacabana, et non à Puno, que le lac prend sa vraie dimension. A Puno il était enfermé par les presqu’îles voisines et restait marqué par la pollution. Ici, les eaux sont d’un vert transparent sur le rivage et d’un bleu profond au large. Après avoir vérifié la faisabilité auprès des photographes locaux, nous improvisons la descente en prenant un petit chemin plus direct (et plus glissant) qui nous amène devant une base de la marine nationale bolivienne. Un petit chemin permet néanmoins de longer les grillages barbelés pour arriver à une petite anse (appelée boca de sapo, bouche de grenouille) où nous nous reposons sur de gros rochers, bercés par les vagues du Titicaca. Quelques canards font aussi la sieste à nos côtés. Nous revenons ensuite vers la plage, longeant l’Hotel Las Olas et ses chalets aux formes surréalistes. Trucha a la romana et al lemon dans un kiosko, le tout arrosé de cebada con durazno seco (une boisson intégrant une pêche séchée au fond du verre, mais au début nous sommes demandé pendant quelques minutes s’il s’agissait d’un fruit ou bien d’un mollusque car la forme est méconnaissable …). La plage est aujourd’hui beaucoup plus calme que le week-end. La musique de la lambada inonde les kioskos (historiquement il s’agit tout d’abord d’une mélodie andine, bien avant d’avoir été transformé en tube de l’été promotionnel soi-disant brésilien). Dans l’après-midi, je vais échanger devant la Plaza Sucre les quelques Soles qu’il me reste. En soirée, nous allons dans le centre déguster une pizza della casa, arrosée de Cerveza Paceña (la bière de La Paz, comme son nom l’indique).
La montée du CalvarioVu d’en haut, cela ressemble déjà plus à Copacabana « Brésil »Sieste au bord du TiticacaTruite grillée et boisson mocochinchi
Départ à 7h30 du terminal de bus de Puno avec la compagnie Titicaca, direction la Bolivie et la ville de Copacabana (qui donna son nom à la plage de Rio …). La route suit les rives du lac. Par certains moments, on se croirait dans la plaine du Larzac, avec une herbe drue et jaune parsemée de gros rochers (existence de formations karstiques au Pérou ?). Nous traversons de petits villages, dont celui de Llave, qui semble animé par le marché aux bestiaux du dimanche. Nous passons la frontière de Yunguyo à pieds (le bus nous laisse faire les formalités migratoires pendant une heure environ et nous reprend du côté bolivien). Nous passons devant ce qui ressemble à un élevage de truites (flotteurs et filets sur le lac), la spécialité culinaire du lac. A 11h00 nous arrivons enfin à Copacabana, une agréable ville de 6000 habitants au bord du lac Titicaca. Il nous faut remettre nos pendules à l’heure (ici, quand il est 11h00, il sera 12h00). Il nous faut aussi échanger nos Soles pour des Bolivianos (nous héritons ainsi de jolis billets colorés et décorés d’animaux sauvages). Nous partons visiter la plage, aujourd’hui très fréquentée par les locaux (nous sommes un dimanche). Chihiro se laisse convaincre par Emilie d’aller faire un tour sur l’eau dans un gros cylindre gonflable transparent. A leur grande surprise, un bateau les emmène à plusieurs dizaines de mètres au large et les laisse en rade pendant une bonne demi-heure (de quoi devenir malade rapidement, car aucun moyen de s’échapper et surtout les vagues du lac se révèlent assez fortes). Nous achetons un cerf-volant en forme de faucon, ce qui se révèlera un bon investissement pour les prochains jours. En face de la cathédrale, nous croisons des voitures décorées de bouquets de fleurs : il s’agit de la tradition des baptêmes de voitures, pour laquelle de nombreux automobilistes boliviens et péruviens affluent à Copacabana. Nous nous installons dans un kiosko en bord de plage pour déguster les truites locales (trucha al ajo et a la diabla (bien épicée !)) pour un prix défiant toute concurrence (25 Bs la truite, soit 3 euros). Nous achetons des sacs de manis (cacahuètes) et de blé soufflé coloré pour grignoter à l’hôtel. L’hostal Sonia dispose d’une jolie vue sur le lac, mais pour en profiter il faut gravir les trois étages (pas d’ascenseur). Le Titicaca est à Copacabana finalement beaucoup plus photogénique qu’à Puno, il prend au coucher de soleil des teintes bleues de toute beauté. Sushis de trucha le soir dans un restaurant aux serveurs boliviens moyennement motivés (ils nous donnent l’impression d’être surpris que nous ayons choisi leur restaurant …). La nuit le souffle devient court, nous sommes encore à plus de 3800 mètres et le corps a du mal à s’ajuster à cet environnement pauvre en oxygène.
Au bord du Lac Titicaca
Les nouveaux billets boliviens sont très colorés
La plage de Copacabana (version Bolivie)L’embarras du choix pour manger de la truite (tous les kiosques proposent le même menu)Une voiture récemment baptisée